dimanche 14 septembre 2008

C Lamu à la plage

Une petite île paradisiaque au nord du Kenya, proche des côtes somaliennes. Berceau de la civilisation Swahili, ce bout de sable fut tour à tour conquis par les sultans de la péninsule arabique, les conquistadors portugais et les colons anglais. Comptoir de commerce, elle voit venir du large les navires de Shanghai, la soie des Indes et les marins de Zanzibar, abritant dès lors toutes les couleurs du monde, les mêlant avec harmonie aux saveurs locales.

Mois du ramadan. Lamu town vie le jour au ralenti. Les heures passent avec langueur, rythmées par les appels à la prière d'un muezzin invisible aux hommes foulant la terre. En petits groupes sur la place principale, les anciens devisent, ergotant sur différents versets du Livre Sacré. Il conversent avec ferveur sur les prêches entendus le matin même. Courant entre leurs djelabas blanches tombant sur des pieds nus, des enfants jouent, cartables sur le dos, sourires aux lèvres. Adossés à un banc public, deux hommes entament une partie de bao. Ils égrainent mécaniquement leurs petites billes de bois comme pour accompagner le temps qui passe. Reflétant comme par magie cette saynète élégiaque, un homme s'endort paisiblement au pied d'un arbre. Passant devant lui, des ânes portent péniblement leurs fardeaux remplis de fruits qui viendront combler les étals du marché voisin où des femmes couvertes d'un voile noir remplissent leurs paniers de denrées destinées à la rupture du jeûne. Au fond, près du fort, des poulets frétillent en cage attendant d'être déplumés devant les rires narquois des plus petits. A côté, un aiguiseur fait tourner consciencieusement sa roue en regardant avec minutie la lame de son couteau.


De ruelles étroites en sentiers sablonneux, défilent les lignes vertes des multiples mosquées. Les échoppes clairsemées laissent la place aux vendeurs de fortune. Le bruit des machines à coudre remplacent celui des transistors. Les bougainvilliers en fleurs donnent des couleurs aux palmiers. Des ombres s'effacent sous les pins parasols. Au bout de tous les chemins : la mer. Là, profitant de la basse marée, certains réparent leur dhows, véritables héros des vagues. En s'approchant de ces bateaux magnifiques, on peut entendre leurs histoires. Les hommes racontent la pêche du jour en montrant fièrement leurs anses garnies de calamars et de langoustes. Quelques poissons pris dans les filets tentent une dernière escapade. Un crabe échappe à l'attention d'un jeune garçon qui regardait, sous son bras, passer une jolie femme. Du bois rare, s'amoncelle dans le port pour quelque destinations inconnues. Au bout de la jetée, certains attendent en fredonnant des airs de marin le bateau qui les mènera au bout de leurs rêves.

Là, tranquille, les yeux rivés sur les ondes bleues, un jeune marin se rappelle le poème de Baudelaire que lui lisait son grand père : « homme libre, toujours tu chériras la mer! La mer est ton miroir; tu contemples ton âme dans le déroulement infini de sa lame. Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer. Tu te plais à plonger au sein de ton image. Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur se distrait quelquefois de sa propre rumeur au bruit de cette plainte indomptable et sauvage. Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets: Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes; Ô mer, nul ne connait tes richesses intimes. Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets! Et cependant voilà des siècles innombrables que vous combattez sans pitié ni remord, tellement vous aimez le carnage et la mort. Ô lutteurs éternels, ô frères implacables! »


lundi 28 juillet 2008

Breloques et villebrequins

Tous les « muzungus » - comprenez blancs, qui séjournent un temps au Kenya ou ailleurs en Afrique, sont fous, déglingués, idéalistes, tarés, drogués, doux dingues, alcooliques, schizophrènes, dangereux, lubriques, loufoques, coupables, dérangés...bref, ils sont félés. Tous ont un brin, quelque chose à oublier ou un truc à se faire pardonner. Un passé tumultueux, un présent chaotique. C'est sans nul doute une des raisons de la folie de ce continent. Comprenez bien que cette assertion a été contrôlée scientifiquement et que je suis bien malheureux d'être obligé de me fondre dans cette catégorie.

Au Kenya, la règle est la même : la fêlure. Personne n'y échappe. Cette terre ocre, celle de nos ancêtres, a vu s'entrechoquer les plus grands vices de nos siècles, importés de l'autre rive de la Méditerranée.

Tout d'abord, des commerçants véreux, avides d'argent et d'aventures, ont jeté l'ancre pour échanger quelques breloques décaties contre des minerais. Plus tard, d'autres foudroyés idéalistes sont venus vendre la civilisation victorienne et épuiser des générations d'esclaves pour faire naître du néant le cheval de fer reliant Kampala et Mombassa. Heureux de trouver des terres fertiles pour leur théine quotidienne, ils ont également déplacé de force des milliers de maisais de la vallée du Rift pour les regrouper dans quelques réserves au sud du pays. Puis vint le temps où les lords anglais ont lancé kikuyus et kalenjin dans la bataille contre leurs frères du Tanganika voisin colonisé par le régime nazi. Après, ce sont les Sarah Fosset et autres adorateurs de la nature qui sont venus s'installer dans les grands espaces du Mont Kilimandjaro pour sauver les animaux sauvage de l'immense famine que subissait les hommes. Aujourd'hui encore quelques forçats de l'humanitaire et de l'environnement s'attaquent aux routes de campagne armés de 4x4 vrombissant pour rejoindre à plus de 100 à l'heure leur lodge préféré : celui où à séjourné la reine d'Angleterre venue chasser les derniers léopards.

C'est ça aussi les expat! Que voulez-vous? Ça me rappelle aussi cet italien incroyable qui a fait venir sa mère de Calabre au fin fond du Tsavo pour apprendre à quelques kenyans ahuris la recette sempiternelle des lasagnes et du tiramisu servis aux touristes de passage.

On boit un verre et rigole toute la soirée avec son voisin de table dont on apprend plus tard qu'il bosse à Total sur un projet que vous avez dénoncé dans vos rapports. CNN et BBC se tapent dans le dos tout en se tirant la bourre pour trouver le scoop qui les fera grimper dans leurs rédactions respectives. Que dire des restaurateurs suisses qui dévoient leur recette de la fondue en mettant du fromage kenyan à la place des produits fermentés de leurs alpages. Entre deux brochettes, les directeurs d'Ong se battent pour acquérir les budgets de la coopération. Les apprentis diplomates font la danse de la pluie en priant en coeur pour que la crise politique dure le plus longtemps possible, sésame obligatoire pour le renouvèlement de leur poste dans les Ambassades. La partie de belote se joue avec quelques vieux mercenaires ou autres agents de sécurité que tu peux également croiser aux bras de 10 kenyanes dans quelques bars malfamés de la ville. L'arrière droit de ton équipe de foot laisse trop passer de ballons pour être honnête...

Puis, certains s'inventent une vie de verre...On y entre comme dans un mystère par le parc national de Nairobi. On dépasse à gauche un bout de voiture planté à la verticale dans la terre. A droite, une girafe en fil de fer allonge son cou vers un arbre sans feuille. On foule un jardin magique où quelques sculptures oniriques vous montrent le chemin . Au bout de celui-ci, s'érige un immense cône d'où sort une abondante fumée blanche : un four en brique géant où quelques lutteurs soufflent le ver dans un bruit venu de l'enfer. Des objets d'art, un pont suspendu, des fleurs de verre, des poteries rigolotes, un paon, une tortue gigantesque, des piles d'assiettes, de vase et de plats bleutées et orangers, une allemande délurée, des arlequins...tous cohabitent dans cet endroit féérique. Tout est laissé au hasard. L'art est transcendance. Chacun est en harmonie dans cet univers baroque. On y plonge comme dans un rêve. On se réveillera quand on aura envie...


Sommet de l'Union africaine à Sharm El Sheikh


Le Zimbabwe sombre...un bout de fesse se dandine à gauche, puis à droite, dans un mini short en jean...Robert Mugabe fait régner la terreur...Un cocktail vodka fraise est négligemment posé sur le rebord d'une piscine en forme de coquillage...Ses homme de main s'attaquent à toute personne perçue comme soutenant l'opposition...Trois nombrils russe passent devant 2 tongs espagnoles...Tsvangirai est une nouvelle fois arrêté...deux jolis seins bronzés se dévoilent nus sur un transat...Les Ong sont chassées du territoire...Une adorable blonde, regarde le ciel, amoureuse...Les medias sont censurés...Quelques poissons bariolés font la fête sur une barre de corail...Le représentant des Nations unis est refoulé du pays...Des felouks filent langoureusement au vent...Les manifestations sont réprimées...Ce soir, élection de Miss Sharm El Sheikh...Le scrutin est tronqué au Zimbabwe...

dimanche 1 juin 2008

Décryptage

La voiture se lance sur la piste cabossée qui mène au poste kilométrique 12 “où les pires atrocités ont été commises”, nous a t-on prévenu. Le silence se fait pesant et transcrit toute l'appréhension que nous avons à nous rendre sur ce lieux maudit. Cigarette à la bouche, cherchant une contenance pour combler le vide qui nous entoure, je regarde défiler la route. Le paysage n'est que désolation. Maisons incendiées, marchés dévastés. Les rares regards que nous croisons reflètent la peur des heures passées. Car l'horreur est passée par là, en plein coeur de l'Afrique, comme pour lui arracher son âme.

En octobre 2002, en République centrafricaine, des rebelles dirigés par l'actuel président Bozizé opèrent une rapide percée vers la capitale dans l'objectif de renverser le pouvoir d'Ange-Félix Patassé. Le chef de l'Etat est aux abois. Son armée est dépecée. La population est contre lui. Il est prêt à tout pour garder son siège, son compte en suisse et ses villas sur la Côte d'Azur. Il fait appel aux troupes libyennes, aux milices tchadiennes et aux mercenaires congolais qu'il paye en valises de diamants, pillés sur l'héritage des enfants centrafricains.

La bataille est rude dans la capitale, Bangui. Combats de rue et bombardements à l'aveugle remplissent les hôpitaux de civils, comme ce petit garçon de 7 ans rencontré sur un lit sans matelas, branché à quelques fils dont on ne sait si ils le reliaient à la vie où ou à la mort. La rébellion s'essouffle. Elle se replie à plusieurs dizaines de kilomètres dans l'espoir de regagner des forces pour l'estocade finale. L'heure est à la vengeance. Le président en sursis lance un contre offensive. Les troupes congolaises ont carte blanche. Les dieux ont toujours soif disait Anatole France, mais ils ont faim aussi. Les droits de la guerre sont alors piétinés par ses combattants de circonstance que l'on laisse, sans contrainte, rétribuer sur la bête leurs actes de mort. La population civile, considérée comme complice des rebelles, devient la cible vulnérable des soldats criminels.

Le bruit du moteur s'arrête. Trois pierres au milieu de la route servent de barrage. Des gamins, bandeaux rouge à la tête, sandales aux pieds, Kalachnikov en bandoulière, demandent notre identité. Leurs yeux – sans rêve ni avenir, sont enivrés de chanvre. On passe...de l'autre côté du miroir.

Les témoignages recueillis sont indescriptibles. Le corps des femmes sont devenus des champs de bataille. Les hommes tués, humiliés, émasculés. De charniers en charniers, les récits décrivent l'ignoble. Un nom revient comme un refrain morbide : Jean-Pierre Bemba. Ce chef rebelle congolais qui a vendu ses enfants pour les transformer en automates sanguinaires.

Nous sommes revenus plusieurs fois dans ce pays pour essayer de comprendre le pire, lever le voile sur ce qui s'est passé et établir les responsabilités. Les victimes continuent de souffrir la double peine de l'indifférence et de la stigmatisation. La justice ne veut pas les entendre. De l'autre côté du fleuve Oubangi, comme une ultime souffrance, Bemba est nommé vice-président. Il se présente aux présidentielles mais perd de peu la magistrature suprême.

Impossible de perdre espoir. On pense à ses femmes qui luttent sans merci pour retrouver dignité et avenir. On démultiplie les appels au secours. On s'en remet à la justice internationale. Elle hésite. On se bagarre. Elle nous écoute.

Le 25 mars 2008, Jean-Pierre Bemba est arrêté en Belgique. Il devrait être transféré devant la Cour pénale internationale. Une victime crie sur les ondes : “J'ai l'impression de revivre”. Nous aussi.

dimanche 18 mai 2008

Florilège

Quelques jours paisibles, ensoleillés, dans ce Damuso de Panté. Couscous de poisson et raviolis de Giovanna. Grappa du Nuccio. On se prélasse sur le port. La panda nous trimballe vers le lac volcanique, à Khamma et ailleurs. On se lance, file chez l'architecte, et lui présente nos envies dessinées sur un coin de table. Le projet prend forme. On est heureux. Vous êtes tous invités le 25 août 2010 à taper la pétanque et manger la pizza sous les canisses de notre prochain bonheur.

Vol overbooké. 24 heures d'attente. Arrivée à Johannesbourg. Pas de connection vers le Swaziland. J'y vais en bus. 5 heures pour arriver dans ce royaume de fou, sorte d'Eldorado pour Afrikaners en mal de golf et de casino. Les zulus perpétuent leur tradition parqués dans des villages culturels où de grosses blanches s'étonnent que les danseurs aient copié Johnny Clegg.

Je m'y trouve une nouvelle fois pour une mission de l'internationale contestataire. Les Ong interpellent les Etats. Ceux-ci se moquent du monde.

Florilège : Des avocats zimbabwéens osent critiquer le processus électoral au Zimbabwe qui voit le vieux Mugabe s'accrocher à son pouvoir, traquant défenseurs des droits de l'Homme et opposants politiques pour arracher un second tour. Le délégué du Zimbabwe menace : “vous n'êtes que des espions du monde occidental qui vous payent grassement pour ternir l'image de mon pays”. Des militants gays and lesbiens se voit répondre le sourire au lèvres que “de telles pratiques n'existe pas au Rwanda et en Ouganda. Ce n'est pas dans notre tradition”. Sur les droits des femmes, le représentant du Swaziland pérore en annonçant qu'il a lui même 5 femmes et qu'elles sont toutes très heureuses. “Ce qu'il faut pour les satisfaire, c'est en avoir!” L'Algérie traite la FIDH d'organisation terroriste. Un classique. La Tunisie ne comprend pas que l'on puisse critiquer le manque de liberté dans son pays, alors même que Sarko loue les formidables progrès en matière de protection des droits de l'Homme. L'Ethiopie vante son intervention militaire meurtrière en Somalie au motif de la lutte internationale contre le terrorisme.

Le tout est de ne pas se décourager!


Mazzara

Vacances. Jour de la Libération fêtée dans ce petit village de pêcheurs de l'Ouest de la Sicile. Quelques anciens résistants, réunis sur le bord de mer, commémorent la chute de Mussolini. Au même moment, Il Cavaliere, fraîchement élu président du Conseil, fricote avec la fille du Duce. Et le nouveau maire de Rome est un neo fasciste patenté. Qu'ils sont fourbes ces italiens!

A peine descendu du bus en provenance de Palerme, deux apprentis curés nous accueillent chaleureusement en nous offrant un café ristreto au bistro du coin. L'un d'eux me fait étonnamment penser à un ex musicien de ZZ top qui aurait trouvé son chemin rédempteur version Don Camillo. Barbe dru, soutane, lunettes de soleil de hard rocker, un look à faire vriller les moustaches des gardes suisses du Vatican. Vitto, un très bon pote d'angé, nous rejoint au comptoir. “Restez là 10 minutes, je reviens”. Une centaine de marmots s'impatientent bruyamment sur les bancs de la petite église d'en face en attendant l'onction divine. “Aujourd'hui, c'est journée portes ouvertes, entreprise commerciale”, nous dit-il. “Certains d'entre-eux trouveront peut être la foi!”. L'office rondement mené, se termine par une mini procession. Laissant ZZ top et les autres Frères amateurs s'occuper des enfants, Vitto nous emmène visiter le séminaire.

En chemin, nous rencontrons 3 bonnes soeurs. Il nous présente. “Elle, c'est la plus jeune de la maison”. Se retournant vers moi : “mais t'as vu, elle est moche comme un pou. Certainement une astuce du Saint Père pour nous empêcher de briser notre voeu de célibat!”. Quelques pas plus loin, on croise l'archevêque, en costume de Mazarin. Ce dernier rouspète : “J'en peux plus d'attendre le retour des gamins habillé comme un pingouin. Je file me changer”. La discussion continue sur “le mariage du siècle” que Vitto doit célébrer à Pantelleria, alors que la mariée attend un enfant. Toute l'île en parle depuis deux mois. La mariée sera-t-elle en blanc?

Tranquillement installé dans son bureau, Vitto nous montre quelques photos où on peut l'apercevoir à côté du Pape. “Je les garde dans cette pochette, car j'ai un peu honte de les mettre au mur”.

On ressort prestement car Vitto veut absolument nous faire voir la Casbah – quartier d'émigrés tunisiens où les carabinieri n'ont par le droit de cité. C'est incroyable le nombre de lieux au monde ou les forces de sécurité sont bannis! Déambulation dans les dédales, petites ruelles colorées où les mosquées se font discrètes dans cette ville aux cent églises. On raconte que les maisons de dieu sont toutes tournées vers la Méditerranée, une façon de provoquer les “barbares” musulmans. Le quartier est en pleine réhabilitation grâce aux fonds constitué à la suite du terrible tremblement de terre de 1968. Qu'ils sont fourbes ces italiens! On entre dans un jolie petite boutique. Vitto soutien l'activité de cette coopérative où des femmes reçoivent une éducation gratuite et travaillent à la création artisanale de tapis. Plus loin, nous longeons le port, son marché de poisson à la criée où, la veille, Vitto a acheté les crevettes et calamars qui orneront plus tard notre repas. On s'arrête quelques minutes attendris devant le petit bateau que notre hôte rêve d'acheter pour son loisir.

Prochaine escale, le musée de la marine. Vitto me glisse a l'oreille que toutes les pièces exposées n'ont pas été trouvées dans la mer mais dans les jardins et maisons des pêcheurs. Qu'ils sont fourbes ces italiens. Je signe le Livre d'or du nom de Satyre, la statut de bronze vedette de l'exposition, et Vitto me succède en paraphant son message par Jean Paul II.

Retour au séminaire. Alors que les gamins se gavent de hot dog au son d'Eros Ramazzoti, nous nous réjouissons des fruits abondants de la mer tout en dégustant une bonne bouteille de vin blanc, sous le regard me semble-t-il jaloux, d'un Christ trop longtemps resté sur sa croix. Et Vitto continue de nous régaler : “Elle, elle veut faire son voeux de chasteté. Lui, c'est le dernier communiste de Mazzara. Lui, c'est notre plus jeune séminariste. Il veut absolument entrer des les ordres. Son problème, c'est qu'il est plutôt beau gosse et il reçoit des dizaines de SMS de minettes qui tentent en vain pour le moment de lui faire changer d'avis. Lui, on peut pas dire qu'il a les mêmes atouts physiques! Mais j'ai pas l'impression qu'il soit vraiment impliqué. Je lui ai conseillé de se taper une fille afin d'éclairer son choix”. Un prêtre s'approche. “Ah, vous habitez Kenya? Vous devez connaître soeur Roberta”? Euh, non. “Si, si, elle est très connue dans ce pays”. Euh, non!

Il est temps de se rendre à Trapani pour décoller vers Pantelleria. Zizi top au volant, à 120 à l'heure sur les petites routes de campagne, nous voyons défiler agréablement des kilomètres de vignes. Au milieu de nul part, entre deux rêves, on croise un hôpital flambant neuf, mais fantôme : “Il a été construit il y a 5 ans. Ils ont même fait la route depuis l'aéroport pour permettre aux ambulances de venir. Mais tout est bloqué à cause de la mafia!”. Qu'ils sont fourbes ces italiens. Arrivés dans ce petit aéroport de Sicile, Vitto reçoit un appel. C'est l'archevêque. “Ouais, j'arrive, je termine deux trois absolutions et je vous rejoins”.


dimanche 13 avril 2008

Intermède

Week-end de grosse glandouille. Triage de dossier. Reflection sur l'avenir du monde. Repos. Piscine. Le plaisir de se sentir chez soi – au calme, après un debut d'année en fanfare où l'orchestre a plus souvent joué de la musique militaire que des partitions d'Armstrong. D'ailleurs, RFI annonce que la liste du gouvernement d'union sera présentée cette après-midi. N'arrivant pas à se mettre d'accord avec le premier ministre, le président avait prévu de nommer 40 ministres! D'aucun ironisait : « Kibaki et les 40 voleurs ». Toujours est-il que c'est un soulagement national après plusieurs jours d'intrigues. Des manifestations d'exaspération avaient resurgi parmi la population civile : Kibera avait redonné de la voix. Voitures brûlées. Machettes ressorties. Simple avertissement pour ces politiciens plus fiers et têtus qu'un zèbre.

Angé et moi errons donc d'un canapé à l'autre. De la terrasse à la chambre. On se prélasse, cool. Décontractés. Température agréable. Le temps n'est pas encore complètement à la saison des pluies. Sieste. Lecture.

Viens de finir La stratégie des Antilopes (quand les Antilopes sont poursuivies par les prédateurs, elles courent ensemble se sentant ainsi protégées. Mais quand le félin s'approche dangereusement d'une proie, alors elles se dispersent, chacune de leur côté, suivant la stratégie du chacun pour soi... laissant la cible à son destin). Jean Hatzfeld titre ainsi son troisième opus sur le génocide rwandais. Il tente de comprendre les mécanismes de cette réconciliation forcée, ou comment Hutus et Tutsis peuvent vivre dans le même village, la rue d'à côté, 14 ans après l'ignoble.

J'entame à présent Le Parfum d'Adam de Ruffin. L'écrivain Ambassadeur de France au Sénégal nous plonge dans une sorte de polar écolo. Pas inintéressant au moment où le « tout pétrole » oppose l'économie à l'environnement dans une mondialisation fiévreuse. On parle de la crise du pouvoir d'achat en Occident. On se bat contre la vie chère dans les Caraïbes en Haiti, en Afrique au Cameroun, au Niger, au Burkina Faso et ailleurs. La contestation grandit autant que les prix montent. L'explosion monétaire de l'or noir rend plus pauvres les pauvres qui ne peuvent plus payer les produits de premières nécessités. Quand la mondialisation mondialise la misère. Construisons vite des murs se disent les européens avant que celle-ci nous envahisse.

Pink Floyd psychadélise nos heures de détente. Petit foot hier. 2-1 contre une équipe du coin. J'ai planté un but un peu par hasard. On a fêté ça. Expérience culinaire à midi. Tentative de samosas à la viande. Surtout ne pas oublier la menthe!

RFI annonce la réussite de l'opération militaire française contre les preneurs d'otage somaliens. Fort de ce succès, Sarko se fait le chantre de la lutte anti pirates dans le golfe d'Aden. C'est vrai y'en a marre des Rakam le Rouge et autres Capitaine Fracasse ou Capitaine Crochet qui nous sabotent nos navires. Et puis il ne faut pas plaisanter avec le petit Nicolas quand il s'agit d'un Yacht. C'est vrai ça, où va t-il passer ses vacances si on lui retire ses jouets! Sur la côte, à quelques centaines de miles marins de lieu d'abordage, des milliers de personnes attendent le moment opportun pour sur jeter nuitamment sur une embarcation de fortune en espérant atteindre sain et sauf le Yemen. Ils veulent échapper à cette chaotique Somalie qui se meure des combats entre seigneurs de guerre, éthiopiens, tribunaux islamiques, et militaires d'un Gouvernement fédéral de transition fantoche. Pourtant, depuis que des GI s'y sont fait ridiculisés il y a 15 ans par des snipers, la communauté internationale se désintéresse de ce pays. Sauf Angé, évidemment... Wonder woman est de retour. Dans un mois, en Somalie du sud. Je flippe un peu. La semaine dernière on a dîné avec une minette du HCR qui a reçu plus de 20 impacts de balles sur sa voiture avant de s'en sortir miraculeusement. Prête pour une bonne thérapie! Des enlèvements se succèdent au gré du paiement des rançons. Les UN ne réagissent pas, ou si peu. Quel est l'agenda caché sous cet acharnement? En tous cas, je suis fier comme un pou (de buffalo) de ma petite princesse.

Coltrane apaise mes pensées. Fin de semaine prochaine, on est en vacances. Quelques jours à Paris puis Rome et Pantelleria. La vita é bella.

mercredi 2 avril 2008

Back to the futur

3 villes. 3 retours. 3 ambiances.

Le Caire tout d'abord - Ambiance, film d'espionnage des années 50.

Dans un hall d'hôtel au charme décati de l'ancien empire britannique, où Lawrence d'Arabie et Winston Churchill ont pris le thé. Tel OSS 117, un whisky sec à porté de main, la photographie de René Coty dans la poche intérieure de ma veste - en signe d'allégeance à la République contre la royale perfide Albion. Posé dans un fauteuil club, m'intéressant si peu aux titres d'une feuille de chou empruntée sur un guéridon, j'attends. Un groom me fait signe, clés en main, que je peux monter dans mes appartements. J'écrase mon mégot de cigarette dans le cendrier en nacre de l'ascenseur. « 6th floor, Sir ». Je jette négligemment mes affaires sur le lit pour me détendre sur le balcon victorien duquel je regarde les felouks tracer leur sillon sur le Nil. Ma mission : participer à une conférence de « l'internationale contestataire » organisée secrètement par une instance interlope qui ne dit pas son nom mais se fait désigner par d'obscures initiales : f.i.d.h. Des types du monde entier se sont donnés rendez-vous pour parler de choses aussi étranges que démodées dans ce nouveau monde, telles la liberté d'expression, la protection des droits de l'Homme dans le cadre de la lutte anti-terroriste, le respect du droit humanitaire. Des concepts barbares et hérétiques sur lesquels seuls quelques doux idéalistes osent encore se prononcer. Plusieurs heures de discussions houleuses plus tard, une décision révolutionnaire fut prise : demander à Moubarak de mettre en place les vélib' et des couloirs de bus pour désengorger cette capitale piégée par le tout voiture.

Paris. Ambiance sportive et chanson de Brassens, les copains d'abord.

Cette ville qu'on aime quitter pour mieux la retrouver. Une cité capitale à mes yeux.

Deux semaines d'entraînement olympique – les jeux en ligne de mire. Catégorie : vin rouge, porto et chips. Les chinois n'ont qu'à bien se tenir. Ils ont encore du sushi sur la planche pour rivaliser à Pékin. Ils ont beau, en apéritif, se soûler de joie en scotch'ant les moines tibétains, je suis fin prêt pour la compet'. 25 apéro en 15 jours; une 20aine de resto, tous plus arrosés les uns que les autres; et un brelan de Gilles pour finir – les connaisseurs apprécieront la performance...

Un vrai bonheur de vous voir. De voir les couples devenir familles; les familles devenir nombreuses. Discutions de potes, belote endiablée, histoires de taf. Que du bon, tout comme ses moments agréables avec ma petite famille adorée. Vivement la prochaine fois.

Arusha. Ambiance love, bibliothèque rose.

Après quelques jours de cure de désintoxication forcée à Nairobi, Angé et ma pomme avons décidé de prendre la route pour la Tanzanie. Objectif : Week-end romantique en amont d'une nouvelle réunion de l' « internationale contestataire » à laquelle j'étais convié. 6 heures de bus coincés entre une religieuse, des touristes américains et des travailleurs tanzaniens pour se retrouver à Arusha. Lieu de ma mythologie où les souvenirs élégiaques remémorent cette rencontre avec la déesse du Mont Kili. Deux jours de douceur au milieu de collines verdoyantes évoquant les premières heures de notre histoire, quelques huit années auparavant.

3 endroits, 3 saveurs particulières, 3 plaisirs non dissimulés.


dimanche 2 mars 2008

Notre monde

Kibera. Une ville dans la ville.

Une population estimée à un million d'habitants. Une vaste colline où s'amoncellent pèle mêle une miriade de baraquements en terre et toles ondulées. En contre bas, des villas plutôt luxueuses, un supermarché et, ultime provocation, un golf!

Par sur que les taxis vous y emmène. Faut connaître, être introduit, avoir de la famille. On ne s'y aventure pas par hasard. Personne ne traîne dans le coin.

Nous sommes invités à déjeuner par Eric, un salarié d'Acted, l'organisation pour laquelle travaille Angé. A l'entrée, on est saisi par ces tags qui appellent à la paix, au calme, à la non violence. Beaucoup célèbrent leur héros, Odinga, lui aussi Luo comme la majorité des gens dans ce bidonville. « Raila, people's president ». « No Raila, no rain ». Tous ces slogans sont signés Solo, un jeune rasta, connu dans le quartier pour être l'as du crochetage, le roi du pillage. Ce n'est pas la dernière contradiction de notre monde.

Kibera a vu s'installer ses premiers taudis à la fin du 19ème siècle. Depuis, la colline a grandi, juchée sur les tonnes de discours de l'Empire, Kenyatta, Moi et Kibaki promettant une condition de vie meilleure pour ses habitants. Nombreux sont au chômage. C'est la débrouille, le règne de la récup et le royaume des lascars. Ils sont abandonnés par le système. Les services communautaires de Nairobi n'entrent pas dans le slum, ou rarement, quant on les y oblige. Les flics, c'est pareil. Pas un seul rencontré pendant notre pérégrination. C'est donc l'auto-gestion, quartier par quartier, avec ses chefs et ses multitudes de sous-chefs. On se crée un satut social à défaut de statut économique. Tout le monde est président, secrétaire ou chef de quelque chose.

Nous sommes samedi. Il fait une chaleur incroyable. Les ruelles débordent d'activités. On y vend de tout, surtout n'importe quoi. Les boutiques sont ambulantes, sur les épaules ou la tête des gens. Les fruits se vendent à même le sol à côté de chaussures, d'outils et autres poissons qui semblent posés sur ces étals depuis des siècles. On passe des coiffeurs, des friteries, des bouchers. Les odeurs sont fortes, bonnes ou pestilentielles. Des trous sont creusés un peu partout devant les taudis, chacun espérant forer quelques gouttes d'eau propre, vendues à prix d'or sur cette colline. Les chants religieux s'élèvent des églises. Des enfants jouent au football. D'autres glanent on ne sait trop quoi sur des montagnes d'ordures. Un train de marchandise transperce littéralement le bidonville. Moment d'amusement pour les gamins qui regardent passer ses wagons des temps anciens tout droit venu du Far West ougandais pour se rendre à Mombassa, premier port du pays.

Les choses semblent immuables à Kibera. Pourtant « rien ne sera jamais plus pareil », nous dit le président d'une association de jeunes. Car Kibera s'est enflammé, comme l'ensemble de ce pays aux lendemains des élections truquées. En quelques jours des maisons et boutiques de kikuyus – l'ethnie de Kibaki, ont été brûlées. Les églises n'ont pas échappé au carnage. Les stigmates de ces heures de folie sont encore bien présents. Les kikuyus on fui, pas très loin. Beaucoup se sont regroupés dans Line-Saba le bastion kikuyu du bidonville, aujourd'hui très surveillé. Comment pourraient-ils revivre avec leurs anciens voisins et amis? Mais, la révolte était surtout sociale. Kibera voulait se faire entendre, se faire remarquer. C'est ainsi que 200 hommes ont déboulonnés et transportés un pan de rame du train pour bloquer l'activité économique du pays. Des jeunes ont essayé de profiter de l'agitation politique pour se rendre dans les rues de la capitale et piller de quoi manger et mieux vivre. Il a fallu une descente extrêmement musclée des forces de l'ordre pour juguler le conflit et éviter que celui-ci ne se répande au centre ville. C'est donc en son sein que les dommages ont été les plus grands. Sorte d'auto-destruction. Tous les magasins et les marchés ont été pillés, mis à sac, brûlés. On parle encore de ces combats de rue. Mike, commandant en chef d'un groupe surnommé « tsunami » se déplace avec la démarche placide d'un chef fière de ses troupes.

L'heure est à la reconstruction. Raila est leur premier ministre. Saura t-il s'en souvenir? En attendant, chacun s'évertue à remettre un peu d'ordre dans ce paysage dévasté. Pour ce faire, on s'appuie sur les micro crédits et les organisations humanitaires.

« Si on a pu tout détruire, on doit pouvoir tout reconstruire ». On monte de nouveaux marchés. On nettoie les rues. On réaménage les potagers...

Un viel homme assis sur un banc chippé au cheval de fer : « Nous ne sommes même pas propriétaires de nos taudis. Les terrains appartiennent au gouvernement! ». Derrière lui, au loin, on aperçoit des immeubles construits par UN Habitat espérant reloger les habitants du bidonville. Mais les loyers sont encore beaucoup trop chers.

Espace temps

Fatigués, las de cette actualité aux armes rutilantes. Désarmant! Fatigués de ce personnage bling bling qui nous gouverne. De ses frasques arrogantes. Ses déclarations éhontées sur une prétendue rupture avec la Françafrique quelques jours seulement après le soutien aveugle de nos militaires au régime très autoritaire d'Idris Deby. Retour sur le discours de Dakar : « Je ne suis pas venu, jeunes d'Afrique, pour pleurer avec vous sur les malheurs de l'Afrique. Car l'Afrique n'a pas besoin de mes pleurs ». Quand notre président préfère les armes aux larmes... Fatigués, meurtris par ce continent qui n'en finit plus de sombrer dans la violence au Darfour, en République démocratique du Congo, au Tchad, au Kenya et maintenant au Cameroun. J'en passe et des pires.

On se casse, besoin de calme. Envi de voir si le Kilimandjaro a gardé sa sagesse et des neiges que l'on dit plus vraiment éternelles.


Cyril, un mec à la cool, nous emmène, direction la frontière tanzanienne. 5 heures plus tard, dont une à changer une roue au milieu de nulle part, le soleil tombe aux abords du parc Amboseli, petit joyau du monde maasai. On prévient les gardes de notre arrivée tardive. Normalement tu dois arriver de jour, car la nuit, tous les éléphants sont gris. Et personne n'a réussi à obliger à un pachyderme à regarder à gauche et à droite avant de traverser une route.


Un peu anxieux, à plus de 80 km/h sur une piste à la fois caillouteuse et poussiéreuse, nos yeux scrutent les moindres formes. Une ombre montre ses contours. On s'arrête. 2 lionnes et leurs lionceaux nous regardent, aussi étonnés que nous de cette rencontre. Vraiment magnifique. Puis viens la traversée des chacals et une véritable haie d'honneur d'éléphants nous montrant le chemin de notre sommeil émerveillé.

Et le matin, le plus haut sommet d'Afrique nous contemple avec ses touches blanches . Il nous accompagne, tranquille, souverain en son royaume. Il nous offre les plus beaux des spectacles : autruches, guépards, oiseaux aux mille couleurs, hippopotames, buffles, gnous, girafes et autres troupeaux de zébus qui sillonnent, paisibles, les villages maasai.

C'était beau, calme, apaisant. Ca nous a fait de bien.


samedi 9 février 2008

Foot'aises

Après s'être fait dompter lors de la première phase de la CAN, les lions dits indomptables vont-ils cette fois dévorer les pharaons d'Egypte? L'Afrique noire n'attend que ça. Tout un continent retient son souffle pour la grande finale de demain – ce qui n'a pourtant pas empêché quelques étincelles de s'allumer au Tchad... Et le Kenya alors? Va t-il lui aussi atteindre la phase finale de sa propre crise? Le match est encore serré. Mieux vaut avoir ses protèges-tibias, les coups bas sont de mise. Attention aux tackles par derrière car les deux adversaires sont un peu fatigués, usés par tant d'attaques et de contres. L'arbitre international tente de reprendre le contrôle du jeu. On connaît pourtant le résultat : le match est nul. Juste bon pour des images sensationnels dans la lucarne télévisuelle.


Tout cela m'a donné une terrible envie de taquiner le cuir. L'expérience fut pour le moins cocasse. Rendez-vous à 17h sur le pitch de l'Impala Club House, lieu post colonialiste à la sauce bourgeoisie kenyane où on prend le thé et on joue aux cartes devant un carré de pelouse taillée à la pince à épiler. Mais cet espace doré n'est qu'illusion, un peu comme ce pays d'ailleurs. Les installations sportives sont d'une autre ère. Je soupçonne Lucie d'avoir tapé ses premiers coups de raquette sur ces terrains en terre battue grisâtre où les filets contreviennent très nettement aux normes européennes de pêche. Il manque un mur au terrain de squash! Et il m'a fallut 20 minutes pour me rendre compte qu'une friche transformée en jungle végétale était en fait un terrain de basket. Mais ils ont quand même un terrain de bi-cross... euh, pardon... de foot.

C'est sur ce terrain très très vague que m'attendaient une 20aine de loustics – chacun faisant 3 fois ma taille et mon poids, tous rwandais et congolais, avides d'en découdre avec un muzungu. Après 15 minutes d'entraînements à plus de 1700 mètres d'altitude, j'ai cru crevé. J'étais déjà entrain de me rhabiller prétextant un entretien impromptu avec la reine d'Angleterre, qu'un mec de 2 mètres m'a placé dans son équipe, côté gauche, en défense. C'était parti pour 1h30 de jeu, sous 30 degrés, sans eau potable ni médecin pour un éventuel massage cardiaque. Quelques trous, bosses, contrôles du genou et passes du nez plus tard, à faire pâlir un Kaméléon, tu comprends vite que le jeu en déviation est le seul possible sur ce rectangle de terre où même un 4x4 hésiterait à passer. Enfin, je me suis régalé. J'y retourne samedi prochain.

Pendant ce temps, Angé était elle aussi confronté à un autre match, dans le stade surchauffé de Kibera. Pour mémoire, ma petite sirène met en place un programme d'assainissement – ramassage des déchets, dans un des plus grands slums du monde. Là aussi le terrain est chaotique et les équipes rusées comme des renards du désert massai. Règle n°1 : 2 équipes de 100 personnes travaillent au nettoyage des drainages pour 200 Kenyan shilling (2 euros) par jour, donnés sous forme de chèque à dépenser dans le supermarché du coin permettant d'acquérir des produits de première nécessité. Règle n° 2 : Aucune règle! Tout est permi pour en faire profiter le maximum de personnes. Ainsi, le jour de la paie, au lieu de 200 individus à rétribuer, tu te retrouves avec une file d'attente de 400 types! « Mais si Maman, je vous assure, j'ai travaillé moi aussi. Si vous m'avez pas vu c'est que je suis hyper discret ». Un autre : « Ma grand mère, c'est vrai maman, elle a 122 ans, mais elle est robuste, c'est elle qui dirigeait les opérations ». Une autre : « Mon p'tit frère aussi maman. On dirait qu'il a 6 ans, mais il en a 18! ». Tous : « Demandez au superviseur ». Là tu te retournes vers un type de près de 80 ans, aveugle comme un pou, incapable de répondre aux interrogations, effrayé même des représailles qu'une réponse négative pourrait entraîner. Le must du must, des jumeaux Hassan et Hussein tentent de manière éhontée d'obtenir deux salaires alors qu'un seul se présentait le matin pour travailler... Après douze heures de palabre, tu cèdes un peu de terrain et tu oses dire que c'est la dernière fois.

Tous les terrains sont difficiles au Kenya, mais cela fait aussi partie de son charme.


Ambiance du jour : Ziggy stardust dans les oreilles. Un John Le Carré entre les mains. A l'ombre d'un palétuvier.

samedi 26 janvier 2008

Kibera Vera!

Angé fait une sieste bien méritée sur notre jolie terrasse.


Ce matin, premier crawl dans la piscine histoire de garder la forme après un mois d'inactivité sportive. Mais ce n'est pas cette activité bien agréable qui a épuisé mon petit ange. Mais plutôt sa première semaine de travail dans les milieux sulfureux de Kibera. : deuxième bidonville ou “slum” d'Afrique. Une population estimée à près d'un million d'habitants. Tous vivent sous le seuil de pauvreté, en plein coeur de la capitale. Pour y entrer, il faut être “accrédité” par les responsables de la communauté. Sinon impossible!


A l'intérieur, des ruelles boueuses. Plusieurs maisons et boutiques – principalement de Kikuyus, l'ethnie d'Ubu roi - ont été incendiées à l'annonce des résultats du vote présidentiel tronqué. Les Kikuyus ont fui le slum pour la plupart. Quelques irréductibles font de la résistance et restent dans le bidonville, sous haute surveillance, de jour comme de nuit. Les affrontements sont encore nombreux. La tension est palpable. C'est dans cet univers interlope qu'Angé déambule la journée pour mettre en oeuvre un programme d'Acted voué à la reconstruction par les communautés des services collectifs. 4 mois de taf avant de reprendre son contrat pour UNOCHA et ses déplacements en Somalie pour la protection des déplacés internes. Prochains défis à sa hauteur : se balader à poil pendant une réunion d'Al Qaida au Pakistan; faire du trapèze en haut de la tour Eiffel; traverser l'Atlantique en apnée...


Alors que les “grands” hommes rechignent à se serrer la main devant les caméras de CNN – les médias kenyans étant censurés – les “petits”, eux, tombent, toujours plus nombreux. 100 morts en trois jours à Nakuru. Eldoret et Kisumu deviennent des villes fantômes. Des femmes sont violées. Des adolescent meurent, déchirés par des balles dans le dos. Les jeunes se battent avec des machettes et des flèches. On parle désormais de milices. Les communautés s'entre-tuent pour un pouvoir qui les a depuis longtemps oublié.


J'étais à Addis Abeba cette semaine, entre autres pour tenter de faire réagir le syndicat des dictateurs africains sur la situation au Kenya. Kibera Vera! Espérons que les esprits rasta de Selassie soient avec nous.


Soirées apaisantes dans les bars enfumées de la haute bourgeoisie éthiopienne. Les femmes vous font rêver des temps anciens des princesses d'Abyssinie. L'injira, plât local, s'accommode plutôt bien avec la Stella. La Coupe d'Afrique des Nations est lancée. Les paris vont bon train : les Aigles de Carthage; la Côte d'Ivoire ou le Ghana.


Angé fait sa sieste. Il fait bon. On pense souvent à vous : aux petits Emil et Eloïs; aux reines de château rouge; à lisounette qui fête ses 30 printemps; au retour fracassant de cheveu au K; à pop et au breton; à flo et ses florettes; à Chabal; à la robe noire d'Oliv; à Adi; à nos familias; et tous les autres qui nous manquent beaucoup.


Des bises


dimanche 13 janvier 2008

Tohu Bohu et Grand Bol d'Air

Kibaki Ubu roi, assis, contemple son territoire dévasté depuis les hauteurs du Mont Kenya. La récente bataille – mais pas la dernière – fut rude. Voyant son ramage s'assombrir, ses Raspoutines lui ont conseillé de tricher le jour du grand tournoi. Il s'y plia sans peine et y ajouta même un peu de vices car il voulait à tout prix conserver son pouvoir. Il aime son royaume comme un lion désire sa gazelle. Le match fut truqué et il l'emporta sans gloire. Mais ses sujets se révoltèrent, écoeurés par tant d'appétence. La guerre éclata. 700 morts et 250 000 personnes déplacées. Odinga "Le Juste" et sa tribu ghanéenne, Kufuor et Annan, appellent désormais au calme et au dialogue. Mais Ubu reste sourd aux suppliques. Un roi ne s'abaisse pas. Il s'accroche à son trône comme un singe à sa branche quand il sent le léopard rôder. Pour isoler le mauvais joueur et le ramener à la raison, ses sujets viennent de porter plainte contre les Raspoutines. Ubu est bien seul sur sa montagne...

Et nous alors dans cette histoire... Tout va bien. « Papa dans le bush ». Après une semaine d'assignation de facto à résidence, Angé et ma pomme voyons enfin le jour et la vie s'organise doucement. Surtout, depuis qu'on a mis une photo du PY sur le mur, on se sent vraiment chez nous.

Question bureau, c'est un peu Sysiphe au pays des Kikuyus : informations prises sur la location (officielle ou non), les taxes (avec un peu ou beaucoup de corruption), l'enregistrement (avec ou sans corruption), les meubles (magasin ou dans la rue!), internet et téléphone (53 compagnies). Bref, plus on essaye de résoudre les problèmes, plus on les découvre. Mais franchement, c'est plutôt amusant. Et si on continue à ce rythme, on devrait pouvoir faire dans quelques jours l'ouverture officielle du "FIDH Nairobi Office".

Et ce week end, papaye sur le cheese cake, on s'est enfin échappés de la capitale pour le grand air et la vie sauvage, direction Lac Naivasha. Un endroit magnifique où on s'est gavé de soleil et de grands espaces. Un des rares endroits au Kenya où l'on peut, à pieds, se retrouver face à face avec des girafes, des gnous, des hippo, des gazelles, des zèbres et autres bêtes dont j'ai déjà oublié le nom.

Anecdote : le Lac est en train de se faire manger par des petites algues vertes ce qui, en plus d'être inesthétique pour les touristes hollandais, empêche les pêcheurs de naviguer. Le gouvernement a décidé de prendre ce problème à bras le corps – plus préoccupé d'ailleurs par les touristes que des pêcheurs, en déversant par avion entier des tonnes et des tonnes de scarabées dits mangeurs d'algues. Ces derniers ayant bien travaillé, repu, ont décidé de s'attaquer à toute la flore avoisinante! Cette petite plaisanterie a coûté plusieurs millions de dollar aux contribuables kenyans pour se débarrasser de ces petits insectes.

Voili, voilo, des bises à tous le monde. Merci pour tous vos appels et messages nous donnant de vos nouvelles. On a eu grand plaisir à recevoir des news de Guillaume le cambodgien, et nous attendons avec impatience celles du Nico et Chloé. Que le K2 vive encore et pour longtemps.


samedi 5 janvier 2008

Radio Nairobi – F(aits) M(arquants) du mars et d'un ange au pays des Masai

Démarrage en fanfare! Arrivée le 31 au soir dans les rues désertes de la capitale kenyane, plus habituée aux nuées de gaz d'échappement à faire fondre les neiges du Kilimandjaro. Le tension est palpable, étouffante. Le taxi man, plutôt stressé, fonce à toute berzingue comme pour conjurer le mauvais sort.

Rien dans le frigo, impossible de sortir. Pour le réveillon ce sera pasta al tonno – comprende pâtes au thon ou désarroi d'une italienne, de surcroît sicilienne! Depuis la terrasse où s'entrechoquent nos verres de whisky ramené de l'aéroport, le silence est assourdissant pour une saint Sylvestre.

Le Kenya – porté en modèle démocratique et économique du continent africain – vient de connaître un véritable hold up électoral. Le 27 décembre au soir, tout le pays regarde en direct à la télévision le décompte du vote présidentiel qui oppose le candidat sortant, Mwai Kibaki, au candidat de l'opposition, Raila Odinga. Désavoué pour n'avoir pas su endigué un système de corruption fleurissant depuis le régime dictatorial d'Arap Moi, Kibaki est en train de perdre 7 des 8 provinces du pays, à l'exception de celle du Centre, où son ethnie Kikuyu est largement majoritaire. Au moment où plus d'un million de voix le séparent de son adversaire et où les kenyans saluent la perspective d'une deuxième alternance en 5 ans, tout s'arrête. Black out total. Les émissions sur les élections présidentielles sont censurées. Le pays s'apprête à vivre des jours douloureux. Sous forte pression du pouvoir, la Commission électorale met trois jours au lieu d'un pour annoncer les résultats : Kibaki sort vainqueur! Seulement 1 heure plus tard, ce dernier prête serment devant une nation abasourdie.

Ruée sur les supermarchés. Ils sont dévalisés. Les habitants s'attendent au pire. 2 heures de queue pour récupérer des pastas et du thon. A croire que c'est le plat national!

Le 2 janvier au matin, un SMS arrive sur mon portable : « le gouvernement vous conseille de ne participer à aucune manifestation illégale car cela pourrait dégénérer en violence ». Deuxième SMS quelques heures plus tard : « quiconque incite à la révolte aura à faire à la rigueur de la loi ». Les ambassades demandent aux ressortissants étrangers de rester chez eux – idéal pour se sentir chez soi! Quelques touristes sont rapatriés de Mombassa. Le pays s'embrase. Les manifestations de l'opposition sont réprimées dans le sang par les forces de l'ordre. L'ethnie d'Odingba – les Luo – et les habitants des bidonvilles s'en prennent aux Kikuyus. Les machettes sont de sortie.. 300 morts, 100 000 personnes déplacées, le Kenya revit les moments les plus sombres de son histoire.

Une nouvelle fois, les conflits inter-ethniques sont instrumentalisés par le fait politique.

Assignés à résidence toute la semaine : téléphone et internet sont nos seuls liens sur l'extérieur. Communiqué de presse, interviews, le travail s'effectue en coopération avec la ligue kényane. Les journalistes carburent. Le Kenya fait la une du monde entier. A croire que les pays touristiques (cf. le tsunami en Thailande) sont plus sexy médiatiquement que d'autres – le Darfour ou la République démocrarique du Congo! Life is life. En tout cas, la communauté internationale a donné de la voix et les négociations politiques sont en cours. Recompte des voix, nouvelles élections, gouvernement d'union nationale, l'avenir nous le dira. En attendant une nouvelle grande manifestation de l'opposition est prévue mardi prochain pour maintenir la pression.

Hier, première véritable sortie... pour récupérer nos malles au Cargo. Une magnifique journée d'attente, de tractation, de corruption (le système Arap Moi a de beaux restes), et un passage par un centre ville sur-sécurisé par l'armée. Mais maintenant, on a un bel appart près à vous accueillir. Musique, DVD, bouquins, plante sur la terrasse, bouteilles de pif, on est prêt à vous recevoir. On est heureux. Tout va bien. Peut être même qu'on ira à la pistache demain.

Bonne année à tous. Des bises.