samedi 26 janvier 2008

Kibera Vera!

Angé fait une sieste bien méritée sur notre jolie terrasse.


Ce matin, premier crawl dans la piscine histoire de garder la forme après un mois d'inactivité sportive. Mais ce n'est pas cette activité bien agréable qui a épuisé mon petit ange. Mais plutôt sa première semaine de travail dans les milieux sulfureux de Kibera. : deuxième bidonville ou “slum” d'Afrique. Une population estimée à près d'un million d'habitants. Tous vivent sous le seuil de pauvreté, en plein coeur de la capitale. Pour y entrer, il faut être “accrédité” par les responsables de la communauté. Sinon impossible!


A l'intérieur, des ruelles boueuses. Plusieurs maisons et boutiques – principalement de Kikuyus, l'ethnie d'Ubu roi - ont été incendiées à l'annonce des résultats du vote présidentiel tronqué. Les Kikuyus ont fui le slum pour la plupart. Quelques irréductibles font de la résistance et restent dans le bidonville, sous haute surveillance, de jour comme de nuit. Les affrontements sont encore nombreux. La tension est palpable. C'est dans cet univers interlope qu'Angé déambule la journée pour mettre en oeuvre un programme d'Acted voué à la reconstruction par les communautés des services collectifs. 4 mois de taf avant de reprendre son contrat pour UNOCHA et ses déplacements en Somalie pour la protection des déplacés internes. Prochains défis à sa hauteur : se balader à poil pendant une réunion d'Al Qaida au Pakistan; faire du trapèze en haut de la tour Eiffel; traverser l'Atlantique en apnée...


Alors que les “grands” hommes rechignent à se serrer la main devant les caméras de CNN – les médias kenyans étant censurés – les “petits”, eux, tombent, toujours plus nombreux. 100 morts en trois jours à Nakuru. Eldoret et Kisumu deviennent des villes fantômes. Des femmes sont violées. Des adolescent meurent, déchirés par des balles dans le dos. Les jeunes se battent avec des machettes et des flèches. On parle désormais de milices. Les communautés s'entre-tuent pour un pouvoir qui les a depuis longtemps oublié.


J'étais à Addis Abeba cette semaine, entre autres pour tenter de faire réagir le syndicat des dictateurs africains sur la situation au Kenya. Kibera Vera! Espérons que les esprits rasta de Selassie soient avec nous.


Soirées apaisantes dans les bars enfumées de la haute bourgeoisie éthiopienne. Les femmes vous font rêver des temps anciens des princesses d'Abyssinie. L'injira, plât local, s'accommode plutôt bien avec la Stella. La Coupe d'Afrique des Nations est lancée. Les paris vont bon train : les Aigles de Carthage; la Côte d'Ivoire ou le Ghana.


Angé fait sa sieste. Il fait bon. On pense souvent à vous : aux petits Emil et Eloïs; aux reines de château rouge; à lisounette qui fête ses 30 printemps; au retour fracassant de cheveu au K; à pop et au breton; à flo et ses florettes; à Chabal; à la robe noire d'Oliv; à Adi; à nos familias; et tous les autres qui nous manquent beaucoup.


Des bises


dimanche 13 janvier 2008

Tohu Bohu et Grand Bol d'Air

Kibaki Ubu roi, assis, contemple son territoire dévasté depuis les hauteurs du Mont Kenya. La récente bataille – mais pas la dernière – fut rude. Voyant son ramage s'assombrir, ses Raspoutines lui ont conseillé de tricher le jour du grand tournoi. Il s'y plia sans peine et y ajouta même un peu de vices car il voulait à tout prix conserver son pouvoir. Il aime son royaume comme un lion désire sa gazelle. Le match fut truqué et il l'emporta sans gloire. Mais ses sujets se révoltèrent, écoeurés par tant d'appétence. La guerre éclata. 700 morts et 250 000 personnes déplacées. Odinga "Le Juste" et sa tribu ghanéenne, Kufuor et Annan, appellent désormais au calme et au dialogue. Mais Ubu reste sourd aux suppliques. Un roi ne s'abaisse pas. Il s'accroche à son trône comme un singe à sa branche quand il sent le léopard rôder. Pour isoler le mauvais joueur et le ramener à la raison, ses sujets viennent de porter plainte contre les Raspoutines. Ubu est bien seul sur sa montagne...

Et nous alors dans cette histoire... Tout va bien. « Papa dans le bush ». Après une semaine d'assignation de facto à résidence, Angé et ma pomme voyons enfin le jour et la vie s'organise doucement. Surtout, depuis qu'on a mis une photo du PY sur le mur, on se sent vraiment chez nous.

Question bureau, c'est un peu Sysiphe au pays des Kikuyus : informations prises sur la location (officielle ou non), les taxes (avec un peu ou beaucoup de corruption), l'enregistrement (avec ou sans corruption), les meubles (magasin ou dans la rue!), internet et téléphone (53 compagnies). Bref, plus on essaye de résoudre les problèmes, plus on les découvre. Mais franchement, c'est plutôt amusant. Et si on continue à ce rythme, on devrait pouvoir faire dans quelques jours l'ouverture officielle du "FIDH Nairobi Office".

Et ce week end, papaye sur le cheese cake, on s'est enfin échappés de la capitale pour le grand air et la vie sauvage, direction Lac Naivasha. Un endroit magnifique où on s'est gavé de soleil et de grands espaces. Un des rares endroits au Kenya où l'on peut, à pieds, se retrouver face à face avec des girafes, des gnous, des hippo, des gazelles, des zèbres et autres bêtes dont j'ai déjà oublié le nom.

Anecdote : le Lac est en train de se faire manger par des petites algues vertes ce qui, en plus d'être inesthétique pour les touristes hollandais, empêche les pêcheurs de naviguer. Le gouvernement a décidé de prendre ce problème à bras le corps – plus préoccupé d'ailleurs par les touristes que des pêcheurs, en déversant par avion entier des tonnes et des tonnes de scarabées dits mangeurs d'algues. Ces derniers ayant bien travaillé, repu, ont décidé de s'attaquer à toute la flore avoisinante! Cette petite plaisanterie a coûté plusieurs millions de dollar aux contribuables kenyans pour se débarrasser de ces petits insectes.

Voili, voilo, des bises à tous le monde. Merci pour tous vos appels et messages nous donnant de vos nouvelles. On a eu grand plaisir à recevoir des news de Guillaume le cambodgien, et nous attendons avec impatience celles du Nico et Chloé. Que le K2 vive encore et pour longtemps.


samedi 5 janvier 2008

Radio Nairobi – F(aits) M(arquants) du mars et d'un ange au pays des Masai

Démarrage en fanfare! Arrivée le 31 au soir dans les rues désertes de la capitale kenyane, plus habituée aux nuées de gaz d'échappement à faire fondre les neiges du Kilimandjaro. Le tension est palpable, étouffante. Le taxi man, plutôt stressé, fonce à toute berzingue comme pour conjurer le mauvais sort.

Rien dans le frigo, impossible de sortir. Pour le réveillon ce sera pasta al tonno – comprende pâtes au thon ou désarroi d'une italienne, de surcroît sicilienne! Depuis la terrasse où s'entrechoquent nos verres de whisky ramené de l'aéroport, le silence est assourdissant pour une saint Sylvestre.

Le Kenya – porté en modèle démocratique et économique du continent africain – vient de connaître un véritable hold up électoral. Le 27 décembre au soir, tout le pays regarde en direct à la télévision le décompte du vote présidentiel qui oppose le candidat sortant, Mwai Kibaki, au candidat de l'opposition, Raila Odinga. Désavoué pour n'avoir pas su endigué un système de corruption fleurissant depuis le régime dictatorial d'Arap Moi, Kibaki est en train de perdre 7 des 8 provinces du pays, à l'exception de celle du Centre, où son ethnie Kikuyu est largement majoritaire. Au moment où plus d'un million de voix le séparent de son adversaire et où les kenyans saluent la perspective d'une deuxième alternance en 5 ans, tout s'arrête. Black out total. Les émissions sur les élections présidentielles sont censurées. Le pays s'apprête à vivre des jours douloureux. Sous forte pression du pouvoir, la Commission électorale met trois jours au lieu d'un pour annoncer les résultats : Kibaki sort vainqueur! Seulement 1 heure plus tard, ce dernier prête serment devant une nation abasourdie.

Ruée sur les supermarchés. Ils sont dévalisés. Les habitants s'attendent au pire. 2 heures de queue pour récupérer des pastas et du thon. A croire que c'est le plat national!

Le 2 janvier au matin, un SMS arrive sur mon portable : « le gouvernement vous conseille de ne participer à aucune manifestation illégale car cela pourrait dégénérer en violence ». Deuxième SMS quelques heures plus tard : « quiconque incite à la révolte aura à faire à la rigueur de la loi ». Les ambassades demandent aux ressortissants étrangers de rester chez eux – idéal pour se sentir chez soi! Quelques touristes sont rapatriés de Mombassa. Le pays s'embrase. Les manifestations de l'opposition sont réprimées dans le sang par les forces de l'ordre. L'ethnie d'Odingba – les Luo – et les habitants des bidonvilles s'en prennent aux Kikuyus. Les machettes sont de sortie.. 300 morts, 100 000 personnes déplacées, le Kenya revit les moments les plus sombres de son histoire.

Une nouvelle fois, les conflits inter-ethniques sont instrumentalisés par le fait politique.

Assignés à résidence toute la semaine : téléphone et internet sont nos seuls liens sur l'extérieur. Communiqué de presse, interviews, le travail s'effectue en coopération avec la ligue kényane. Les journalistes carburent. Le Kenya fait la une du monde entier. A croire que les pays touristiques (cf. le tsunami en Thailande) sont plus sexy médiatiquement que d'autres – le Darfour ou la République démocrarique du Congo! Life is life. En tout cas, la communauté internationale a donné de la voix et les négociations politiques sont en cours. Recompte des voix, nouvelles élections, gouvernement d'union nationale, l'avenir nous le dira. En attendant une nouvelle grande manifestation de l'opposition est prévue mardi prochain pour maintenir la pression.

Hier, première véritable sortie... pour récupérer nos malles au Cargo. Une magnifique journée d'attente, de tractation, de corruption (le système Arap Moi a de beaux restes), et un passage par un centre ville sur-sécurisé par l'armée. Mais maintenant, on a un bel appart près à vous accueillir. Musique, DVD, bouquins, plante sur la terrasse, bouteilles de pif, on est prêt à vous recevoir. On est heureux. Tout va bien. Peut être même qu'on ira à la pistache demain.

Bonne année à tous. Des bises.