samedi 9 février 2008

Foot'aises

Après s'être fait dompter lors de la première phase de la CAN, les lions dits indomptables vont-ils cette fois dévorer les pharaons d'Egypte? L'Afrique noire n'attend que ça. Tout un continent retient son souffle pour la grande finale de demain – ce qui n'a pourtant pas empêché quelques étincelles de s'allumer au Tchad... Et le Kenya alors? Va t-il lui aussi atteindre la phase finale de sa propre crise? Le match est encore serré. Mieux vaut avoir ses protèges-tibias, les coups bas sont de mise. Attention aux tackles par derrière car les deux adversaires sont un peu fatigués, usés par tant d'attaques et de contres. L'arbitre international tente de reprendre le contrôle du jeu. On connaît pourtant le résultat : le match est nul. Juste bon pour des images sensationnels dans la lucarne télévisuelle.


Tout cela m'a donné une terrible envie de taquiner le cuir. L'expérience fut pour le moins cocasse. Rendez-vous à 17h sur le pitch de l'Impala Club House, lieu post colonialiste à la sauce bourgeoisie kenyane où on prend le thé et on joue aux cartes devant un carré de pelouse taillée à la pince à épiler. Mais cet espace doré n'est qu'illusion, un peu comme ce pays d'ailleurs. Les installations sportives sont d'une autre ère. Je soupçonne Lucie d'avoir tapé ses premiers coups de raquette sur ces terrains en terre battue grisâtre où les filets contreviennent très nettement aux normes européennes de pêche. Il manque un mur au terrain de squash! Et il m'a fallut 20 minutes pour me rendre compte qu'une friche transformée en jungle végétale était en fait un terrain de basket. Mais ils ont quand même un terrain de bi-cross... euh, pardon... de foot.

C'est sur ce terrain très très vague que m'attendaient une 20aine de loustics – chacun faisant 3 fois ma taille et mon poids, tous rwandais et congolais, avides d'en découdre avec un muzungu. Après 15 minutes d'entraînements à plus de 1700 mètres d'altitude, j'ai cru crevé. J'étais déjà entrain de me rhabiller prétextant un entretien impromptu avec la reine d'Angleterre, qu'un mec de 2 mètres m'a placé dans son équipe, côté gauche, en défense. C'était parti pour 1h30 de jeu, sous 30 degrés, sans eau potable ni médecin pour un éventuel massage cardiaque. Quelques trous, bosses, contrôles du genou et passes du nez plus tard, à faire pâlir un Kaméléon, tu comprends vite que le jeu en déviation est le seul possible sur ce rectangle de terre où même un 4x4 hésiterait à passer. Enfin, je me suis régalé. J'y retourne samedi prochain.

Pendant ce temps, Angé était elle aussi confronté à un autre match, dans le stade surchauffé de Kibera. Pour mémoire, ma petite sirène met en place un programme d'assainissement – ramassage des déchets, dans un des plus grands slums du monde. Là aussi le terrain est chaotique et les équipes rusées comme des renards du désert massai. Règle n°1 : 2 équipes de 100 personnes travaillent au nettoyage des drainages pour 200 Kenyan shilling (2 euros) par jour, donnés sous forme de chèque à dépenser dans le supermarché du coin permettant d'acquérir des produits de première nécessité. Règle n° 2 : Aucune règle! Tout est permi pour en faire profiter le maximum de personnes. Ainsi, le jour de la paie, au lieu de 200 individus à rétribuer, tu te retrouves avec une file d'attente de 400 types! « Mais si Maman, je vous assure, j'ai travaillé moi aussi. Si vous m'avez pas vu c'est que je suis hyper discret ». Un autre : « Ma grand mère, c'est vrai maman, elle a 122 ans, mais elle est robuste, c'est elle qui dirigeait les opérations ». Une autre : « Mon p'tit frère aussi maman. On dirait qu'il a 6 ans, mais il en a 18! ». Tous : « Demandez au superviseur ». Là tu te retournes vers un type de près de 80 ans, aveugle comme un pou, incapable de répondre aux interrogations, effrayé même des représailles qu'une réponse négative pourrait entraîner. Le must du must, des jumeaux Hassan et Hussein tentent de manière éhontée d'obtenir deux salaires alors qu'un seul se présentait le matin pour travailler... Après douze heures de palabre, tu cèdes un peu de terrain et tu oses dire que c'est la dernière fois.

Tous les terrains sont difficiles au Kenya, mais cela fait aussi partie de son charme.


Ambiance du jour : Ziggy stardust dans les oreilles. Un John Le Carré entre les mains. A l'ombre d'un palétuvier.