dimanche 2 mars 2008

Notre monde

Kibera. Une ville dans la ville.

Une population estimée à un million d'habitants. Une vaste colline où s'amoncellent pèle mêle une miriade de baraquements en terre et toles ondulées. En contre bas, des villas plutôt luxueuses, un supermarché et, ultime provocation, un golf!

Par sur que les taxis vous y emmène. Faut connaître, être introduit, avoir de la famille. On ne s'y aventure pas par hasard. Personne ne traîne dans le coin.

Nous sommes invités à déjeuner par Eric, un salarié d'Acted, l'organisation pour laquelle travaille Angé. A l'entrée, on est saisi par ces tags qui appellent à la paix, au calme, à la non violence. Beaucoup célèbrent leur héros, Odinga, lui aussi Luo comme la majorité des gens dans ce bidonville. « Raila, people's president ». « No Raila, no rain ». Tous ces slogans sont signés Solo, un jeune rasta, connu dans le quartier pour être l'as du crochetage, le roi du pillage. Ce n'est pas la dernière contradiction de notre monde.

Kibera a vu s'installer ses premiers taudis à la fin du 19ème siècle. Depuis, la colline a grandi, juchée sur les tonnes de discours de l'Empire, Kenyatta, Moi et Kibaki promettant une condition de vie meilleure pour ses habitants. Nombreux sont au chômage. C'est la débrouille, le règne de la récup et le royaume des lascars. Ils sont abandonnés par le système. Les services communautaires de Nairobi n'entrent pas dans le slum, ou rarement, quant on les y oblige. Les flics, c'est pareil. Pas un seul rencontré pendant notre pérégrination. C'est donc l'auto-gestion, quartier par quartier, avec ses chefs et ses multitudes de sous-chefs. On se crée un satut social à défaut de statut économique. Tout le monde est président, secrétaire ou chef de quelque chose.

Nous sommes samedi. Il fait une chaleur incroyable. Les ruelles débordent d'activités. On y vend de tout, surtout n'importe quoi. Les boutiques sont ambulantes, sur les épaules ou la tête des gens. Les fruits se vendent à même le sol à côté de chaussures, d'outils et autres poissons qui semblent posés sur ces étals depuis des siècles. On passe des coiffeurs, des friteries, des bouchers. Les odeurs sont fortes, bonnes ou pestilentielles. Des trous sont creusés un peu partout devant les taudis, chacun espérant forer quelques gouttes d'eau propre, vendues à prix d'or sur cette colline. Les chants religieux s'élèvent des églises. Des enfants jouent au football. D'autres glanent on ne sait trop quoi sur des montagnes d'ordures. Un train de marchandise transperce littéralement le bidonville. Moment d'amusement pour les gamins qui regardent passer ses wagons des temps anciens tout droit venu du Far West ougandais pour se rendre à Mombassa, premier port du pays.

Les choses semblent immuables à Kibera. Pourtant « rien ne sera jamais plus pareil », nous dit le président d'une association de jeunes. Car Kibera s'est enflammé, comme l'ensemble de ce pays aux lendemains des élections truquées. En quelques jours des maisons et boutiques de kikuyus – l'ethnie de Kibaki, ont été brûlées. Les églises n'ont pas échappé au carnage. Les stigmates de ces heures de folie sont encore bien présents. Les kikuyus on fui, pas très loin. Beaucoup se sont regroupés dans Line-Saba le bastion kikuyu du bidonville, aujourd'hui très surveillé. Comment pourraient-ils revivre avec leurs anciens voisins et amis? Mais, la révolte était surtout sociale. Kibera voulait se faire entendre, se faire remarquer. C'est ainsi que 200 hommes ont déboulonnés et transportés un pan de rame du train pour bloquer l'activité économique du pays. Des jeunes ont essayé de profiter de l'agitation politique pour se rendre dans les rues de la capitale et piller de quoi manger et mieux vivre. Il a fallu une descente extrêmement musclée des forces de l'ordre pour juguler le conflit et éviter que celui-ci ne se répande au centre ville. C'est donc en son sein que les dommages ont été les plus grands. Sorte d'auto-destruction. Tous les magasins et les marchés ont été pillés, mis à sac, brûlés. On parle encore de ces combats de rue. Mike, commandant en chef d'un groupe surnommé « tsunami » se déplace avec la démarche placide d'un chef fière de ses troupes.

L'heure est à la reconstruction. Raila est leur premier ministre. Saura t-il s'en souvenir? En attendant, chacun s'évertue à remettre un peu d'ordre dans ce paysage dévasté. Pour ce faire, on s'appuie sur les micro crédits et les organisations humanitaires.

« Si on a pu tout détruire, on doit pouvoir tout reconstruire ». On monte de nouveaux marchés. On nettoie les rues. On réaménage les potagers...

Un viel homme assis sur un banc chippé au cheval de fer : « Nous ne sommes même pas propriétaires de nos taudis. Les terrains appartiennent au gouvernement! ». Derrière lui, au loin, on aperçoit des immeubles construits par UN Habitat espérant reloger les habitants du bidonville. Mais les loyers sont encore beaucoup trop chers.

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