La voiture se lance sur la piste cabossée qui mène au poste kilométrique 12 “où les pires atrocités ont été commises”, nous a t-on prévenu. Le silence se fait pesant et transcrit toute l'appréhension que nous avons à nous rendre sur ce lieux maudit. Cigarette à la bouche, cherchant une contenance pour combler le vide qui nous entoure, je regarde défiler la route. Le paysage n'est que désolation. Maisons incendiées, marchés dévastés. Les rares regards que nous croisons reflètent la peur des heures passées. Car l'horreur est passée par là, en plein coeur de l'Afrique, comme pour lui arracher son âme.
En octobre 2002, en République centrafricaine, des rebelles dirigés par l'actuel président Bozizé opèrent une rapide percée vers la capitale dans l'objectif de renverser le pouvoir d'Ange-Félix Patassé. Le chef de l'Etat est aux abois. Son armée est dépecée. La population est contre lui. Il est prêt à tout pour garder son siège, son compte en suisse et ses villas sur la Côte d'Azur. Il fait appel aux troupes libyennes, aux milices tchadiennes et aux mercenaires congolais qu'il paye en valises de diamants, pillés sur l'héritage des enfants centrafricains.
La bataille est rude dans la capitale, Bangui. Combats de rue et bombardements à l'aveugle remplissent les hôpitaux de civils, comme ce petit garçon de 7 ans rencontré sur un lit sans matelas, branché à quelques fils dont on ne sait si ils le reliaient à la vie où ou à la mort. La rébellion s'essouffle. Elle se replie à plusieurs dizaines de kilomètres dans l'espoir de regagner des forces pour l'estocade finale. L'heure est à la vengeance. Le président en sursis lance un contre offensive. Les troupes congolaises ont carte blanche. Les dieux ont toujours soif disait Anatole France, mais ils ont faim aussi. Les droits de la guerre sont alors piétinés par ses combattants de circonstance que l'on laisse, sans contrainte, rétribuer sur la bête leurs actes de mort. La population civile, considérée comme complice des rebelles, devient la cible vulnérable des soldats criminels.
Le bruit du moteur s'arrête. Trois pierres au milieu de la route servent de barrage. Des gamins, bandeaux rouge à la tête, sandales aux pieds, Kalachnikov en bandoulière, demandent notre identité. Leurs yeux – sans rêve ni avenir, sont enivrés de chanvre. On passe...de l'autre côté du miroir.
Les témoignages recueillis sont indescriptibles. Le corps des femmes sont devenus des champs de bataille. Les hommes tués, humiliés, émasculés. De charniers en charniers, les récits décrivent l'ignoble. Un nom revient comme un refrain morbide : Jean-Pierre Bemba. Ce chef rebelle congolais qui a vendu ses enfants pour les transformer en automates sanguinaires.
Nous sommes revenus plusieurs fois dans ce pays pour essayer de comprendre le pire, lever le voile sur ce qui s'est passé et établir les responsabilités. Les victimes continuent de souffrir la double peine de l'indifférence et de la stigmatisation. La justice ne veut pas les entendre. De l'autre côté du fleuve Oubangi, comme une ultime souffrance, Bemba est nommé vice-président. Il se présente aux présidentielles mais perd de peu la magistrature suprême.
Impossible de perdre espoir. On pense à ses femmes qui luttent sans merci pour retrouver dignité et avenir. On démultiplie les appels au secours. On s'en remet à la justice internationale. Elle hésite. On se bagarre. Elle nous écoute.
Le 25 mars 2008, Jean-Pierre Bemba est arrêté en Belgique. Il devrait être transféré devant la Cour pénale internationale. Une victime crie sur les ondes : “J'ai l'impression de revivre”. Nous aussi.
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