vendredi 19 juin 2009
Trac Ass Riz
Voilà bien une demie heure que je poirote. C'est long. Devant moi une bonne 60aine de personnes en rang d'oignon. Derrière, impossible de compter. La queue sort du building. Il y a tellement de files d'attentes dans et en dehors des bâtiments administratifs au Kenya que quand tu regardes les gens marcher dans la rue, t'as l'impression qu'ils font la queue! Les gens se pressent, râlent, tentent de grignoter quelques place, ni vu ni connu, à la moindre faute d'inattention. Restons concentrés. Je suis dans la file censée mener au bureau C 31. Mais je ne suis pas sûr que c'est à ce Bureau que je dois adresser ma requête. Qui ne tente rien n'a rien. Ne surtout pas demander à celui de derrière, il pourrait, exprès, me désorienter pour gagner une place. Et elles sont chères. Le policier chargé de contenir tout débordement de foule est incapable de me répondre. Je dois récupérer un permis de conduire kenyan. J'attends. C'est long. Chaque pas de fait est une petite victoire. Je sors mon dossier pour vérifier que je n'ai rien oublié. J'ai étudié le formulaire et préparé mes papiers pendant une bonne semaine. Un polytechnicien s'y perdrait. Cocher tel case, pas une autre... Les files s'entrecroisent. On sait plus très bien si la sienne arrive à bon port. Un peu comme ces jeux où il faut choisir un bout de ficelle entremêlée à d'autres et le suivre jusqu'au bout en espérant qu'il mène à destination. Certains sont là depuis plusieurs heures. On commence à fraterniser. On se parle, se prête les stylos pour remplir les derniers documents distribués dans la queue. On essaye de ne pas faire d'erreur. Ne as raturer. Surtout ne pas recommencer. Ne pas redemander un formulaire. On copie sur le voisin. On se donne des tuyaux. L'heure avance. C'est long. Je vais rater mon rendez-vous, c'est sûr. Mais pour rien au monde, je ne reviendrai. Faut tenir. Je ne peux pas abandonner. Les portables sonnent. On s'intéresse à la vie des autres. Que faire d'autre. Un autre pas. J'aperçois enfin le bout du tunnel. Je devine petit à petit que l'opératrice est une dame. Bien fixée sur sa chaise. Encrée même! Tout de suite voir si elle a l'air aimable. Si elle va nous aider. Ou si elle risque de nous filer du fil à retordre. On analyse tout : un éventuel sourire. Sa coupe de cheveu. La couleur de son pull. Chaque détail compte. Un regard peut vous armer de courage ou vous faire frémir. Un autre pas. Le moment fatidique approche. L'heure est cruciale. On oubli ce qui se passe autour. On se concentre. On vérifie une nouvelle fois son dossier. Rien ne manque. Enfin, je crois.. On réfléchie à ce que l'on va dire. Un des types de devant s'est trompé de file. 2 heures pour rien. Il peste. Tente de se placer au devant de la bonne queue prétextant avoir fait son temps. Ceux qui sont là depuis l'aube rechignent et le remette à sa place. Au fin fond de la file. Un autre pas. Je transpire. C'est long J'essaye d'attirer son regard. Elle tamponne, elle griffonne, elle parle à son collègue. Mais ne lève jamais la tête. Elle est comme absorbée par les papiers. Elle me paraît pas très sympathique. Je panique. C'est à moi.... Bonjour. Vous allez bien? Pas de réponse. Je glisse le dossier dans le petit sas prévu à cet effet. J'entends battre mon coeur. J'ai l'impression que tout le monde m'épie. Je me fais tout petit. Elle effeuille lentement mes papiers. Me jette un premier regard. Se replonge dans le dossier. Elle me tend un papier. Vous avez oublié de signer. Je m'exécute comme le ferait un bon petit soldat. J'ai l'impression de passer un interrogatoire. Je n'ai fait aucune faute. Que me reprochez-vous? Je ne veux pas revenir. Je m'accroche au comptoir. Je suffoque. La photocopie du permis internationale, vous l'avez? Oui, c'est dans le dossier. Ah bon! La discussion est lapidaire. Pas trépidante du tout. Mais elle revêt à cet instant un caractère crucial. La personne derrière moi me marche presque dessus. Il n'en peut plus d'attendre. Il regarde par dessus mon épaule. C'est comme si mon dossier était le sien. La dame se lève. Se déplace. Que va t-elle faire? Pourquoi s'en va t-elle en plein examen de mon dossier. Les gens semblent m'en vouloir. Comme si je faisais exprès de prendre tout mon temps pour retarder leur passage. Elle revient avec un verre d'eau. J'y suis pour rien si elle avait soif! Elle elle Tranquille. C'est bien la seule ici à être tranquille. Elle me regarde pour le troisième fois. Je soupçonne un sourire. Elle tamponne mon formulaire et y écrit le mot approuvé. C'est la fête. J'ai envie d'offrir un verre aux centaines de personnes qui font la queue. Comme si j'avais réussi un concours des hautes écoles. Les heures d'attente ont maintenant un sens. J'ai réussi. Rien ne peut me faire plus plaisir. J'exulte. J'ai envie de hurler de plaisir. Je m'apprête à sortir de cet enfer. J'entame un demi tour triomphale. Une voix s'élève derrière moi. Un homme me tape dans le dos. Me dit qu'on souhaite me parler. Je reviens vers le comptoir. La dame me regarde d'un air narquois. Elle me toise. Sa bouche s'ouvre lentement pour laisser filer un flot de parole dissonant. Vous devez maintenant aller au Bureau C 5. Frappé par la foudre, je recule. Chancelle. Tout tourne autour de moi. Je tente avant l'évanouissement de jeter un coup d'oeil à la file du Bureau C 5. J'en crois pas mes yeux. Elle est encore plus longue que celle du Bureau C 31. Je m'y résigne. Je suis battu. Abattu. Et ça recommence.
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