Au Kenya, la règle est la même : la fêlure. Personne n'y échappe. Cette terre ocre, celle de nos ancêtres, a vu s'entrechoquer les plus grands vices de nos siècles, importés de l'autre rive de la Méditerranée.
Tout d'abord, des commerçants véreux, avides d'argent et d'aventures, ont jeté l'ancre pour échanger quelques breloques décaties contre des minerais. Plus tard, d'autres foudroyés idéalistes sont venus vendre la civilisation victorienne et épuiser des générations d'esclaves pour faire naître du néant le cheval de fer reliant Kampala et Mombassa. Heureux de trouver des terres fertiles pour leur théine quotidienne, ils ont également déplacé de force des milliers de maisais de la vallée du Rift pour les regrouper dans quelques réserves au sud du pays. Puis vint le temps où les lords anglais ont lancé kikuyus et kalenjin dans la bataille contre leurs frères du Tanganika voisin colonisé par le régime nazi. Après, ce sont les Sarah Fosset et autres adorateurs de la nature qui sont venus s'installer dans les grands espaces du Mont Kilimandjaro pour sauver les animaux sauvage de l'immense famine que subissait les hommes. Aujourd'hui encore quelques forçats de l'humanitaire et de l'environnement s'attaquent aux routes de campagne armés de 4x4 vrombissant pour rejoindre à plus de 100 à l'heure leur lodge préféré : celui où à séjourné la reine d'Angleterre venue chasser les derniers léopards.
C'est ça aussi les expat! Que voulez-vous? Ça me rappelle aussi cet italien incroyable qui a fait venir sa mère de Calabre au fin fond du Tsavo pour apprendre à quelques kenyans ahuris la recette sempiternelle des lasagnes et du tiramisu servis aux touristes de passage.
On boit un verre et rigole toute la soirée avec son voisin de table dont on apprend plus tard qu'il bosse à Total sur un projet que vous avez dénoncé dans vos rapports. CNN et BBC se tapent dans le dos tout en se tirant la bourre pour trouver le scoop qui les fera grimper dans leurs rédactions respectives. Que dire des restaurateurs suisses qui dévoient leur recette de la fondue en mettant du fromage kenyan à la place des produits fermentés de leurs alpages. Entre deux brochettes, les directeurs d'Ong se battent pour acquérir les budgets de la coopération. Les apprentis diplomates font la danse de la pluie en priant en coeur pour que la crise politique dure le plus longtemps possible, sésame obligatoire pour le renouvèlement de leur poste dans les Ambassades. La partie de belote se joue avec quelques vieux mercenaires ou autres agents de sécurité que tu peux également croiser aux bras de 10 kenyanes dans quelques bars malfamés de la ville. L'arrière droit de ton équipe de foot laisse trop passer de ballons pour être honnête...
Puis, certains s'inventent une vie de verre...On y entre comme dans un mystère par le parc national de Nairobi. On dépasse à gauche un bout de voiture planté à la verticale dans la terre. A droite, une girafe en fil de fer allonge son cou vers un arbre sans feuille. On foule un jardin magique où quelques sculptures oniriques vous montrent le chemin . Au bout de celui-ci, s'érige un immense cône d'où sort une abondante fumée blanche : un four en brique géant où quelques lutteurs soufflent le ver dans un bruit venu de l'enfer. Des objets d'art, un pont suspendu, des fleurs de verre, des poteries rigolotes, un paon, une tortue gigantesque, des piles d'assiettes, de vase et de plats bleutées et orangers, une allemande délurée, des arlequins...tous cohabitent dans cet endroit féérique. Tout est laissé au hasard. L'art est transcendance. Chacun est en harmonie dans cet univers baroque. On y plonge comme dans un rêve. On se réveillera quand on aura envie...
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